Décryptage : donner un coût au réchauffement climatique a-t-il un sens ?

Bangladesh village inondé

Village inondé dans le sud de Dhaka, Bangladesh. ©Yann Arthus-Bertrand

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Si nous ne faisons rien, le réchauffement climatique va nous coûter cher. Tous les experts semblent s’accorder à le dire. Mais les chiffres publiés dans la presse sont parfois déconcertants. Vincent Viguié, chercheur, et Nicolas Taconet, doctorant au Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (Cired) nous livrent quelques clés pour mieux comprendre.

Depuis le début du XXIe siècle, le réchauffement climatique aurait déjà coûté, à l’Europe et aux États-Unis, plus de 4.000 milliards de dollars. Dans les pays tropicaux, il aurait fait augmenter la pauvreté de 5 %. Et sur les 200 prochaines années, le coût de notre inaction climatique est estimé à quelque chose entre 50 et 250 milliards de dollars par an. Alors que le coût ultime du carbone pour l’humanité serait de l’ordre de 100.000 dollars par tonne émise.

Ces chiffres donnent le tournis. D’autant qu’ils s’appuient sur des études très sérieuses : le dernier rapport de la Commission de transition énergétique (ETC) — un groupe de réflexion international qui se concentre sur la croissance économique et l’atténuation des changements climatiques, créé en 2015 et basé à Londres — ou des travaux de chercheurs de l’université de Warwick (Royaume-Uni) ou d’autres de l’université de Chicago (États-Unis).

Le 13 octobre dernier, à l’occasion de la Journée internationale pour la réduction des risques de catastrophe, le Bureau des Nations unies dédié a lui aussi publié un chiffre : 3.000 milliards de dollars. C’est le coût estimé des catastrophes climatiques de ces vingt dernières années. Un coût qui, dans les faits, reconnaissent les experts, est sans doute bien plus élevé. Car il y manque des données plus fiables, notamment dans des régions comme l’Afrique où prévaut le secteur informel.

Chiffrer le réchauffement climatique : un exercice infiniment complexe

Vincent Viguié, chercheur au Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (Cired) nous le confirme en soulevant un autre point important. « Toutes ces études sont extrêmement sérieuses et utiles. Mais il faut souligner que les évaluations de coûts qu’elles donnent sont largement sous-estimées. Elles ne tiennent compte que de certains aspects des impacts du climat. De ceux qui ont été solidement démontrés. » La baisse des rendements agricoles, par exemple. Ou encore les inondations côtières dues à la montée du niveau de la mer.

Car des impacts encore à définir ou que les chercheurs ne maîtrisent pas suffisamment, il y en a beaucoup. « Trop pour que nous puissions tous les intégrer et produire un chiffre réellement complet », commente pour nous Nicolas Taconet, un doctorant qui travaille aux côtés du chercheur. « Comment associer un coût à des pertes de biodiversité ? Le cadre théorique qui est utilisé pour cela n’a pas réellement de sens lorsqu’il est question de disparitions massives d’espèces », ajoute Vincent Viguié. Le cadre théorique en question consiste à associer un coût aux impacts liés à l’extinction d’une espèce. « Mais plus il y a d’espèces qui disparaissent, plus les impacts sont potentiellement énormes et les interactions restent mal connues. »

Les calculs économiques d’analyse des politiques savent pourtant prendre en compte la question du coût de la mortalité humaine. Une route en mauvais état, par exemple, peut être à l’origine d’une augmentation du nombre d’accidents. Des travaux permettront au contraire de les limiter. « Pour estimer la rentabilité d’un investissement, il faut associer un coût aux pertes humaines dans ce cas précis. Le mettre en balance avec les gains que pourraient, par ailleurs, apporter des campagnes de sensibilisation à la sécurité routière et le fait d’engager des médecins. Lorsque l’on parle de changement climatique, le cadre est très différent et il est difficile de traduire une mortalité en coût. »

Donner un coût au réchauffement a-t-il un sens ?

Difficulté supplémentaire : les chercheurs semblent s’accorder sur le fait que le coût du réchauffement climatique n’est pas proportionnel à la hausse des températures. « Les coûts associés à un passage de +1 à +2 °C ne sont pas du tout les mêmes que ceux associés à une hausse de +2 à +3 °C. » Des études se sont penchées sur l’impact du premier degré de réchauffement que nous venons de connaître sur l’économie, la production, le bien-être ou la mortalité. « Elles trouvent des coûts importants et mettent notamment en avant des coûts inégalement répartis entre les pays. Mais ce n’est pas forcément extrapolable à ce qui va se produire dans le futur. Car beaucoup d’impacts significatifs du réchauffement sont encore à venir. Nous n’avons ainsi pas encore de données sur la montée des eaux », nous explique Nicolas Taconet.

Le poids du futur par rapport à celui du présent est un autre facteur central de la question. Le taux d’actualisation comme l’appellent les économistes. Il permet en principe d’apprécier un bénéfice dans le temps pour un investissement réalisé aujourd’hui. « La difficulté, c’est que l’échelle de temps sur laquelle nous travaillons lorsqu’il est question de réchauffement climatique — 30 ou 40 ans — est bien plus longue que celle avec laquelle les économistes ont l’habitude de travailler. Ainsi, l’incertitude que nous avons sur le taux d’actualisation peut avoir des conséquences énormes », souligne Vincent Viguié.

Résultat : des incertitudes énormes sur le coût final du réchauffement climatique. « Selon les méthodes utilisées, les effets pris en compte, et les taux d’actualisation choisis, le coût du changement climatique est estimé à quelque chose entre 1 et 20 % du PIB », nous précise Nicolas Taconet. « Donner un coût global du changement climatique, ça n’a pas forcément beaucoup de sens », confirme Vincent Viguié.

L’inaction coûte plus que l’action

« Ce que l’on observe, en revanche, c’est que même en se basant sur ces chiffres très partiels et très sous-estimés, le coût de notre inaction est largement supérieur à celui des investissements nécessaires à réduire nos émissions de gaz à effet de serre. » Le coût de notre inaction actuelle et celui de la réduction de nos émissions, en effet, apparaissent un peu plus simples à évaluer. Ne pas agir fortement dès à présent coûte déjà très cher à nos sociétés. « Il reste des points d’interrogation, car il s’agit de considérer des évolutions de long terme qui introduisent également des incertitudes. Pour réduire nos émissions, il faut agir sur tous les secteurs de notre société, changer nos modes de vie. »

L’exemple de l’action possible sur l’isolation des bâtiments est parlant. Car isoler une maison permet, sur le papier, d’économiser en chauffage. Sur le papier, car dans la pratique, « on observe que les gens ont tendance alors à chauffer un peu plus. Ils n’économisent donc pas tant que ça. C’est ce que nous appelons l’effet rebond. Dans les projections énergétiques, ce phénomène est pris en compte. Il fait baisser la rentabilité monétaire de l’opération d’isolation, mais permet d’améliorer le confort des habitants. Et ça, c’est difficile à quantifier », nous explique Vincent Viguié. « Quoi qu’il en soit, tout le monde s’accorde à dire qu’il est clairement plus profitable de réduire nos émissions que de subir les impacts du changement climatique. »

Une économie zéro carbone, c’est réalisable ?

Le coût de la réduction des émissions, selon les secteurs, peut même être positif. « Les écosystèmes contribuent de différentes façons à l’économie : en produisant des services ou des biens ou en nous protégeant contre certains impacts du changement climatique. Et il y a un aspect éthique. Les écosystèmes contribuent au bien-être des populations. Ça a une valeur « patrimoniale ». On peut essayer d’y attribuer une valeur monétaire à ajouter aux coûts du réchauffement, mais cela soulève de nombreuses questions. Dans l’esprit des gens, ce n’est pas forcément substituable. Elle est extrêmement difficile à définir tant elle peut varier d’une personne à l’autre, d’une culture à l’autre, d’un écosystème à l’autre. Cela fait partie des grandes inconnues et c’est sans doute une part importante du coût du réchauffement », précise Nicolas Taconet. « Mais une fois la transition de notre société opérée, les populations seront peut-être plus heureuses qu’avant », suggère Vincent Viguié. Et ça, ça n’a pas de prix…

Pour la Commission de transition énergétique (ETC) les investissements nécessaires pour parvenir à une économie globale zéro carbone d’ici 2050 ne représenteraient pas plus de 1 à 1,5 % du PIB mondial. Ils seraient facilement abordables compte tenu de l’épargne et des investissements mondiaux actuels, en particulier dans le contexte macroéconomique de taux d’intérêt bas que nous vivons. L’ampleur des investissements requis serait même faible par rapport aux dépenses publiques massives et aux déficits budgétaires désormais consacrés à la stimulation de l’économie dans le contexte de la crise de Covid-19.

Une économie mondiale zéro carbone ? Mission réalisable donc pour l’ETC. À condition de transformer complètement notre système énergétique. Le tout avec de faibles impacts sur les niveaux de vie. « La plupart des études montrent qu’au niveau de l’emploi, par exemple, passer à une économie zéro carbone pourrait être, globalement, totalement transparent, voire bénéfique », confirme Vincent Viguié.

Décryptage : donner un coût au réchauffement climatique a-t-il un sens ?

Un article de Nathalie Mayer, retrouvez d’autres articles sur Futura.

Un commentaire

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    • Jean Grossmann

    Tous ces chiffres donnent le vertige

    Particulièrement la valeur du PIB

    Le secrétaire général de l’OCDE avait raison lorsqu’il estimait qu’il allait falloir revoir cet indice pour évaluer notre bien-être

    Quant aux conséquences du réchauffement climatique en cours elles semblent particulièrement graves. Particulièrement si nous ne faisont rien de significatif

    Après avoir écrit 300 pages sur ce sujet je pense que nous allons être contraints de revoir nos chaînes énergétiques.

    Ceci comme cela est évoqué dans ma tentative de synthèse. Voir

    https://www.dropbox.com/s/ijl7wtbtlzhzlj6/synthese.pdf?dl=0